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INSTITUT DU MONDE ARABE

Dans le cadre de « 2022. Regards sur l'Algérie à l'IMA » - BAYA. Femmes en leur Jardin - Œuvres et archives, 1947-1998.

Du 8 novembre 2022 au 26 mars 2023

L’Institut du monde arabe, avec le concours du Fonds Claude et France Lemand, rend hommage à l’artiste algérienne BAYA, la plus singulière du XXe siècle, propulsée à l’âge de 16 ans au sommet de la notoriété.
Enrichie de nombreux prêts d’institutions et collections historiques, l’exposition embrasse l’entièreté de sa production, de 1947 à 1998, et constitue un panorama unique de son œuvre. Son bestiaire énigmatique en céramique et ses peintures colorées représentant une nature luxuriante ont été réunies au sein du nouvel Espace des Donateurs de l’IMA sur près de 280m2.
Les œuvres exposées entrent en résonance avec une sélection d’archives issues du fonds Marguerite Caminat, la mère adoptive de Baya, et offrent un éclairage inédit sur la carrière et la personnalité de l’artiste. Le public pourra notamment découvrir plusieurs lettres de Baya illustrées et adressées à Marguerite Caminat. Une correspondance dans laquelle elle aborde ses problèmes d’artiste et ses soutiens, ainsi qu’une lettre écrite par Jean Dubuffet en 1950, après avoir rencontré Baya et sa mère à Alger.
L’exposition met ainsi en lumière l’exceptionnel parcours d’une femme artiste et l’émancipation d’une femme algérienne dans le contexte postcolonial de la deuxième moitié du XXe siècle.

L’EXPOSITION
BAYA, FEMMES DANS LEUR JARDIN. ŒUVRES ET ARCHIVES, 1947-1998

Au-delà de son ambition artistique, l’exposition Baya. Femme dans leur Jardin est l’occasion d’aborder « le cas Baya » dans une perspective d’études coloniales et postcoloniales. Comment Fatma Haddad, une jeune orpheline qui a connu souffrance et violence et qui n’a pas été scolarisée – comme 98% des filles « indigènes » de sa génération –, devient Baya à la fin de la période coloniale, maîtrisant le langage des formes et des couleurs dans un style singulier et identifiable?
L’exposition propose une réflexion sur l’émancipation d’une jeune femme en situation coloniale grâce au médium de l’art moderne. Sans jamais user d’un vocabulaire politique ou militant, Baya avance en résistant face aux déterminismes coloniaux et ancestraux. Inaugurant la décolonisation, la période qui suit 1945 en est l’arrière-fond et permet à cette « échappée belle » de se réaliser.
Puis arrive le temps de la guerre d’Indépendance marquée par une violence qui n’autorise plus la création et provoque l’exode des jeunes artistes vers Paris. Baya interrompt sa carrière après son mariage. Dix ans plus tard, après que soit acquise l’Indépendance de l’Algérie, elle trouve la force de se remettre à peindre, en assurant son rôle de femme dans une famille traditionnelle – elle est la seconde épouse du musicien arabo-andalou El Hadj Mahfoud Mahieddine et la mère de six enfants. La représentation des instruments de musique orientale dans ses œuvres, mais toujours avec des sujets féminins, date de cette seconde période.

BAYA, L’ÉMANCIPATION D’UNE FEMME ARTISTE
DANS L’ALGÉRIE DE DEUX ÉPOQUES

Fatma Haddad, dite Baya (1931-1998), n’a pas souffert, comme d’autres femmes artistes, d’un manque de visibilité. Baya fut propulsée précocement au sommet de la notoriété, avant la fin de la période coloniale, avec une première grande exposition à Paris en 1947, organisée par le galeriste Aimé Maeght, qui avait découvert fortuitement son talent au cours d’un voyage à Alger. Cette jeune autodidacte, issue du monde colonisé, éblouit les amateurs d’art à Paris – dont André Breton qui préfaça dans la revue Derrière le miroir le catalogue de l’exposition. Baya avait tout juste 16 ans. Deux années plus tard, elle revient en France pour réaliser des sculptures et sa créativité dans le travail de l’argile est remarquée par Picasso, dans les ateliers de céramique Madoura à Vallauris.
Grâce à sa mère adoptive Marguerite Caminat et à quelques autres soutiens importants, comme le poète Jean Sénac qui mettait en valeur dans ses commentaires les artistes algériens qu’il aimait, Baya sut rester sur la scène artistique jusqu’à la période de la guerre d’Indépendance (1954-1962), pendant laquelle elle s’arrêta de peindre. Mariée en 1953 avec le musicien El Hadj Mahfoud Mahieddine, elle se consacra à sa famille, dans leur demeure de Blida. Ensuite, et c’est sans doute le plus remarquable après ce « retour à l’ordre », tout en restant pleinement impliquée dans sa vie familiale, elle eut la force de reprendre son travail artistique dès 1962, principalement aidée par Jean de Maisonseul, peintre et nouveau directeur du musée national des Beaux-arts d’Alger après l’Indépendance, qui eut un rôle décisif pour que ce musée garde ses collections prestigieuses et pour la promotion de la jeune peinture algérienne. Il entoura Baya, lui permit de trouver les moyens de créer, exposa ses œuvres dès sa reprise en 1963 et fit des acquisitions, dont l’ensemble fait encore la fierté de ce musée.
Malgré sa personnalité discrète, qui contrastait avec une scène artistique tumultueuse qui opposait à Alger différents courants et leurs représentants, Baya fraya son propre chemin, en participant à des expositions collectives et en bénéficiant de nombreuses expositions personnelles, principalement dans la capitale, où elle montra ses œuvres presque tous les ans. Elle fut en 1967 de l’aventure du groupe Aouchem, fondé par Choukri Mesli et Denis Martinez, qui entendait relier l’art contemporain aux sources de l’art africain et au répertoire formel transmis par les arts populaires du Maghreb. Consacrée comme l’une des pionnières de l’art algérien, elle obtint en 1969 le Grand Prix de peinture de la ville d’Alger. Baya continua de travailler en faisant évoluer sa peinture, eut une production prolifique et appréciée à l’international.
Ses œuvres sont présentes dans les collections de plusieurs musées internationaux, comme le musée d’art brut de Lausanne à l’initiative de Jean Dubuffet qui l’avait rencontrée à Alger dans les années 1950, et plusieurs grands musées français. Des notices lui sont dédiées dans des ouvrages consacrés à l’art naïf ou au surréalisme, dans le droit fil de l’intérêt premier d’André Breton, ainsi que dans le Dictionnaire de l’art moderne et contemporain. Elle exposa régulièrement à l’étranger jusqu’à sa mort en 1998. Cette année-là, l’exposition Les peintres du signe, essentielle dans la décennie de la guerre civile qui avait mis à mal la culture et les artistes, est un hommage au courage des artistes algériens, à leur force créatrice et particulièrement un hommage à Baya qui, dans ce terrible contexte, luttait depuis plusieurs années contre la maladie.
Les mots pour parler d’elle sont souvent piégés, car ils ressassent l’idée du miracle initial ou qualifie son art d’art naïf. L’un obère toute réelle historicité au regard de sa trajectoire et l’autre empêche de voir la singularité de son art, son raffinement, ses évolutions, sa dimension spirituelle. Ces biais cognitifs pèsent même sur l’image de l’artiste qui, tout en restant discrète, ne fut jamais effacée, sut s’appuyer sur un réseau, trouver sa place sur la scène artistique en Algérie, où les femmes étaient rares, continuer les expositions en France et en Europe, sans se laisser influencer pour plaire, en gardant son univers et son langage artistique. Elle fut cependant beaucoup imitée en Algérie par les générations formées après l’Indépendance, preuve s’il en est besoin de son influence et de l’attrait d’une esthétique dans laquelle beaucoup se reconnaissent. L’intérêt qu’elle suscite aujourd’hui chez de jeunes critiques ou historiennes de l’art montre que l’on n’a pas encore tout dit de l’œuvre peint et sculpté de Baya, ni de son parcours.
Les œuvres de Baya nous parlent aussi au-delà du sujet, de formes et de couleurs qui sont à la fois un héritage culturel et une invention. Si Baya n’a pas été scolarisée, elle a eu accès à d’autres savoirs, à un capital symbolique dont elle ne s’est jamais départie et qu’elle a mis à profit dans sa création en l’utilisant librement. Dans ces œuvres, se profilent ainsi les matériaux de ses séjours d’enfance en Kabylie, dont sa mère était originaire. Enfant, Baya a évolué dans un univers culturel dans lequel elle a fait des apprentissages essentiels, comme l’observation du travail de la poterie, effectué par les femmes, réminiscences que l’on retrouve dans son goût pour le modelage de la terre. De même, elle dira plus tard avoir été sensible aux contes transmis oralement dans la famille, qui contribuaient à l’éducation des enfants. Baya réinvestira ce medium quand elle passera à la peinture, pour dire à sa mère adoptive ce qu’elle met en scène plastiquement.

L’ENTOURAGE DE BAYA,
REFLET DE SES CONVICTIONS, DÉTERMINANT POUR SA CARRIÈRE

On ne pourrait retracer avec justesse la carrière de Baya sans aborder son entourage qui eut un impact majeur sur elle et sa capacité à transgresser la situation coloniale et son déterminisme.
Tout commence avec sa mère adoptive, Marguerite Caminat (1903-1987). Originaire de la métropole, son influence est cruciale dans le regard porté par Baya sur les colonisés.
Après l’Indépendance, Baya peut compter sur l’aide généreuse de Jean de Maisonseul (1912-1999), urbaniste, peintre et extraordinaire passeur resté en Algérie après 1962. Directeur du Musée national des Beaux-arts d’Alger, il organise les premières expositions d’artistes algériens et fait entrer les œuvres d’artistes vivants – dont celles de Baya – dans le musée.
Puis le poète Jean Sénac (1926-1973) qui se revendique algérien. Il demeure à Alger la personnalité du monde des lettres la plus attentive aux arts visuels et soutient fermement Baya.
Baya appartient au groupe d’artistes Aouchem (« Tatouages » en arabe), dont le manifeste est publié en 1967. Elle y incarne une figure de pionnière lorsque le groupe affirme sa volonté de conjuguer modernité et cultures populaires ancestrales.
L’écrivaine et académicienne, Assia Djebar (1936-2015) considérait Baya comme une femme novatrice, affirmant son droit à la création. Elle lui consacre un texte puissant dans lequel elle expose l’importance symbolique de ses sujets féminins face à la dimension patriarcale de la société traditionnelle.
Enfin, la journaliste Edmonde Charles-Roux (1920-2016), qui a toujours mis en valeur l’apport des femmes dans la vie sociale et culturelle, était l’amie de Baya. En 1947, elle écrit dans Vogue un premier article sur elle – vêtue d’un costume oriental, Baya fait la couverture du numéro dans lequel celui-ci est publié. Plus tard, la journaliste œuvra en faveur de la grande rétrospective de son œuvre qui eut lieu en 1983 à Marseille, au musée Cantini.

LE FONDS MARGUERITE CAMINAT

Afin de mettre en relief le contexte colonial, son évolution et les liens sociaux qui ont permis de le transgresser, l’exposition Baya, Femmes dans leur Jardin présente une sélection d’archives inconnues du public, issues du fonds Marguerite Caminat.
Bibliothécaire et documentaliste, Marguerite Caminat a réuni une multitude de lettres, documents et articles de presse concernant sa fille adoptive, constituant un fonds précieux déposé aux archives nationales d’Outre-Mer à Aix-en-Provence.
Pour la première fois seront dévoilés des écrits personnels de l’artiste, longtemps considérée comme analphabète – alors qu’elle avait appris à lire et à écrire hors du système scolaire, de par sa propre volonté et avec l’aide de sa mère adoptive.
Parmi les nombreux documents présentés au sein de l’exposition, le public découvrira plusieurs lettres de Baya adressées à Marguerite Caminat, illustrées, dans lesquelles elle aborde ses problèmes d’artiste et ses soutiens, ainsi qu’une lettre écrite par Jean Dubuffet en 1950, après avoir rencontré Baya et sa mère à Alger.

Prêts exceptionnels de : Archives nationales d’Outre-mer (ANOM, Aix-en-Provence), Fondation Kamel Lazaar (Tunis), Galerie Maeght (Paris), Musée Réattu (Arles), Musée d’art moderne de Lille métropole (LaM, Villeneuve-d’Ascq), Musée Cantini (Marseille), Musée d’Art Naïf et d’Arts Singuliers (MANAS, Laval), Centre national des arts plastiques (CNAP, Paris) et de collections privées historiques.

AUTOUR DE L’EXPOSITION :

Des visites, conférences, rencontres et publications analyseront le contexte historique, social, économique et esthétique de production de chacune des périodes du parcours de Baya, et étudieront les œuvres dans ce qu’elles ont de contingent, d’unique et d’universel.

COMMISSARIAT
Anissa Bouayed, historienne
Djamila Chakour, chargée de collections
Claude Lemand, collectionneur et donateur